J’aimerais contribuer à la célébration du saint prophète en parlant
de ce qu’il est convenu d’appeler « l ‘esprit et la tradition d’Elie », tels qu’ils apparaissent dans les Ecritures, les textes liturgiques (je pense en particulier à ce
tropaire de la fête de Jean- Baptiste « Il marchera devant Lui dans l’esprit et la tradition d’Elie » ); Pour fleurir finalement et dans une certaine mesure dans le
monachisme.
Dans son discours sur le Précurseur, Jean-Baptiste, le Seigneur dit : « si vous voulez bien comprendre, il est
l’Elie qui doit venir » (Mt : XI, 14) selon la prophétie de Malachie ( III, 23-24) « Voici que je vais envoyer Elie le grand prophète avant que ne vienne le jour du Seigneur, jour
grand et redoutable, il ramènera le cœur des pères vers leurs fils ; celui des fils vers leurs pères ». Ainsi, Jésus prononce le nom d’Elie comme celui de Jean, comme un nom qui leur
serait commun.
Comme nous le savons encore, l’ange dit à Zacharie ,dès avant la naissance de l’enfant que ,Jean précèderait le Seigneur avec
la force et la puissance d’Elie (Lc : I, 17)
A plusieurs reprises, le Seigneur parle clairement de Jean comme d’Elie. Cela signifierait-il qu’il y ait identité entre eux,
identité de personnes ? Surtout lorsque l’on sait qu’Elie n’a pas connu la mort physique et qu’une tradition judaïque dit de lui qu’il doit revenir. Ce qui pourrait expliquer en particulier
la terreur d’Hérode : Il entendit parler de Jésus dont le nom était devenu célèbre et il dit : cet homme est Jean –Baptiste (qu’il venait de faire décapiter…) c’est lui ressuscité des
morts (sous entendu Elie- Jean-Baptiste ) voila pourquoi le pouvoir de faire des miracles agit en lui ( Mc : 6, 14-16 ; Mt 14, 1-2 ; Lc : 9, 7-9 )
A un premier niveau, le lien entre Elie et Jean établi de manière si nette par le Sauveur nous incitent à examiner avec la
plus grande attention par quels traits les deux prophètes se ressemblent et se différencient.
Ils sont tous deux prédicateurs du repentir et de la vraie foi et par suite, dénonciateurs des fausses croyances ; Avec
cette différence qu’Elie apparaît comme une figure vetérotestamentaire et terrible ( extermination des prophètes de Baal mais aussi massacre des hommes d’Ochozias).
Il y a similitude dans l’austérité de vie, l’ascèse et même la vêture. Comme Jean, Elie avait été instruit au désert où dans
le murmure d’une brise légère, la Gloire de Dieu s’était manifestée à lui.
Elie et Jean ont eu la vision de la face du Christ sur la terre : Elie lors de la Transfiguration, Jean lors du Baptême
du Christ. Tous deux ont entendu la Voix du Père clamer : Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; tous deux ont vécu ce face à face avec la Divine Trinité.
On pourrait encore multiplier les exemples et les analogies dans l’iconographie en particulier et dire que par leurs actes,
leur façon de vivre conformes à leur enseignement ils sont les modèles du monachisme.
Mais ce que l’on entend par esprit et tradition d’Elie va bien au-delà.
Les paroles du Christ impliquent plus qu’un rapprochement de fonction et même de ministère. Elles indiquent un mystère qui ne
nous a pas été dévoilé, celui d’un rapport personnel entre Jean et Elie (très éloigné ,et sans rapport, bien entendu avec l’interprétation des tenants de la réincarnation et de
la métempsycose).
Alors, pour couper court à cette ambiguïté, la réponse que Jean donne aux envoyés des prêtres et des lévites est sans
équivoque allant nettement à l’encontre de cette façon de voir "Qui es-tu lui demandent-ils ? Es-tu Elie ?" Et il répondit « Je ne le suis point » (Jn : 1, 21).
Donc Jean n’est pas Elie, mais néanmoins et dans une certaine mesure
il l’est quand même. Mais cela se rapporte par-dessus tout dans la similitude des ministères. Ils sont les deux précurseurs. L’un, Jean annonçait le premier avènement du Christ, l’autre Elie annonçait son second avènement (Mal : III,
23-24.)
Mais les juifs ne les distinguaient pas et les confondaient.
Dans le Tropaire byzantin de sa fête, l’Eglise célèbre le
glorieux Elie comme ange dans la chair ( comme Jean-Baptiste) fondement des prophètes, précurseur (comme Jean-Baptiste) mais du second avènement du Christ.
Saint Jean-Chrysostome l’interprète également au sens d’une parenté
de ministères.
Aussi, le prophète de l’ancien testament est le second précurseur, le
charisme prophétique lui est donné au titre des deux alliances ; cela l’assimile bien-sûr également à Jean, médiateur du testament ancien et nouveau précurseur et surtout ami de
l’Epoux.
L’assimilation d’Elie et de Jean a pour logique une identité
avant tout et par-dessus tout messianique ; et c’est ainsi qu’il faut la comprendre tout en contenant un mystère qui néanmoins demeure.
Je disais aussi qu’Elie, pour reprendre le titre de votre livre (
Mère Eliane) est considéré comme l’archétype du moine ; homme céleste, ange terrestre comme Jean-Baptiste.
Le monachisme (en particulier anachorétique) continue heureusement de
fleurir dans notre monde contemporain et c’est sans doute ce qui lui permet de ne pas s’écrouler. Le berceau de ce type de monachisme en est très certainement l’Egypte copte avec saint Antoine et
les Pères du désert. Et ce monachisme connaît actuellement, nous pouvons en témoigner, un renouveau formidable marqué par cette figure, cette colonne qui vient d’être rappelée à Dieu voici une
quarantaine de jours ; le Père Matta el Maskine.
Pour célébrer cette quarantaine, et dans le fil de mon propos, j’aimerais vous citer quelques paroles qu’il tenait sur la
prière ; prière qu’il plaçait au-dessus de toute autre activité spirituelle.
« Quant au besoin que nous avons de la prière dans notre
existence temporelle, il faut bien prendre conscience que nous vivons dans un monde revenu à des idoles qui s’appellent argent, convoitise, concupiscence, un monde qui s’est éloigné de Dieu et où
règnent la course à l’argent, l’usage de la force, de la ruse, de la corruption pour l’accession aux premières places, le recours au mensonge pour la justification de soi, l’injustice et la
domination pour s’assurer la conquête du pouvoir, toutes choses courantes aussi bien dans le monde que dans l’église.
Comment sauver mon âme ? est devenue une question critique qui a
besoin certes de beaucoup d’efforts et d’un certain recul par rapport à l’ambiance délétère du monde actuel, mais aussi, mais surtout du recours à la prière comme premier et dernier
ressort. La prière n’a jamais été aussi nécessaire au salut de l’âme qu’aujourd’hui où il est plus que jamais possible à l’homme de vivre sans foi tout en recevant par ailleurs louange et
considération. Au milieu d’un monde où règnent l’incroyance, le péché et l’injustice, la prière nous rappelle que nous avons un Dieu vivant, un Royaume prêt à nous accueillir, une autre vie dans
la gloire et un jugement à traverser.
Jour après jour, la prière nous rappelle aussi que nous ne sommes pas
de ce monde, que nous sommes des enfants de lumière et qu’il nous faut nous garder des compromissions avec les hommes pervers et dissolus, avec les enfants de la débauche et du
péché. »
Que le Seigneur donne à son serviteur l’higoumène Matta, digne
successeur du prophète Elie, la mémoire éternelle !
P.Roland Boivin
Monastère Saint- Elie
Le 20 juillet 2006, fête du saint prophète